Préambule
Le
relevé des effectifs du corps des volontaires belges pour le Mexique
renseigne 97 déserteurs, dont 17 militaires comprenant un officier
passé dans les rangs républicains. Sur un nombre de 1556
volontaires, ce chiffre m’a paru très excessif. Les diverses
études que j’ai consacrées, durant des années, à la campagne du
Mexique ont mis en évidence que ces données étaient contestables
et ceci pour diverses raisons. Il m’apparaissait dès lors utile
d’apporter quelques précisions à ce sujet.
L’engagement
belge dans la campagne du Mexique
En
1863, désireux de se désengager de la folle entreprise amorcée
deux ans plus tôt, notamment celle de vouloir conquérir le Mexique,
Napoléon III offre la couronne de ce pays à l’archiduc Maximilien
de Habsbourg, frère de l’empereur François-Joseph d’Autriche.
Il est l’époux de Charlotte, la fille du roi Léopold Ier de
Belgique. Ce dernier avait très vite émis le voeu que sa fille
Charlotte et son gendre Maximilien puissent disposer d’une troupe
de soldats belges.Ceux-ce seraient destinés à constituer une garde
d’honneur avec seule mission la protection des résidences
impériales. Une commission de recrutement fut constituée, tandis
que le commandement de ce corps fut confié au lieutenant-colonel
Alfred Van der Smissen, un officier au tempérament impétueux.
L’engagement des volontaires allait avoir lieu à Oudenaarde.
Cependant, dès son début, la formation de ce corps souleva en
Belgique une vague de protestations sans précédent et
particulièrement de la part de l’opposition catholique, le
gouvernement de l’époque étant libéral. Certains orateurs s’en
furent jusqu’à Oudenaarde prêcher la désertion en ajoutant
qu’aucune loi n’était en mesure de la réprimer. Ces allégations
s’avèreront exactes. Par un vote du 2 septembre 1864 à la
Chambre, les autorités furent placées dans l’impossibilité de
sévir contre les désertions. De ce fait de nombreuses recrues, se
fiant à ce qu’on leur avait raconté, disparurent d’Oudenaarde
sans être inquiétés. Aussi, sur les 2150 engagements souscrits,
seuls 1556 volontaires partiront au Mexique. Parmi ces derniers,
certains voyaient dans l’expédition un moyen économique de
franchir l’Atlantique pour rejoindre leur famille ou leurs
compatriotes aux Etats-Unis. Il s’agissait pour la plupart de
volontaires d’origine allemande. La plupart des ouvrages
s’accordent que le nombre de désertions s’élevait à une
cinquantaine dès les premiers mois passés sur le sol américain. Si
la nationalité prépondérante de ces volontaires est exacte, leur
nombre ne s’élève qu’à une dizaine dont les noms sont les
suivants:
BUCHHOLZ
Henri ( Steele-Dusseldorf 1834) déserté en mars 1865
BUCHSER
Ferdinand ( Langenberg 1841 ) déserté en mars 1865
FREUDENHAMMER
(? ) a déserté à Toluca
HALET
Jean ( Schaerbeek 1835 ) déserté en mars 1865
KOHLMANN
Theodore ( ? ) déserté en mars 1865
NITHACK
Charles déserté en avril 1865
QUADT
Jacques ( All ) déserté en mars 1865
REITH
Herman ( Pays-Bas 1842 ) déserté en mars 1865
SCHEMBACK
Jules ( Aachen 1843 ) déserté en mars 1865
WISSELINCK
Gustave ( ? ) déserté en avril 1865
Il
est évident que ces faits de désertion n’avaient pas échappé au
commandant du corps. Dans une lettre adressée le 3 juin 1865 à la
légation belge de Mexico, Van der Smissen souligne:
“ … j’avais
dans mon corps l’esprit de désertion”.
Pour
enrayer ce risque de contagion qui à présent l’obsédait, le chef
avait déjà fait quelques exemples sans trop s’embarrasser des
formes légales de la justice. Il avait en outre commandé en
personne les pelotons d’exécution. Deux volontaires avaient subi
cette sentence:
RICHEBE
Romain né à Cuesmes en 1817. Fusillé à Patzcuaro le 12 mai 1865
THYSSEN
Jean né à Aix-la-Chapelle en 1827. Fusillé à Undameo le 16 mai
1865.
La
campagne du Michoacan - Tacambaro
A
Mexico, les Belges furent très vite considérés comme des
“planqués” par leurs alliés français et autrichiens. Le
lieutenant-colonel Van der Smissen, commandant du corps belge, touché
dans son orgueil, jugeait ces critiques inacceptables et offensantes
pour la nation qu’il représentait. Aussi allait-il solliciter que
sa légion soit employée comme les autres troupes au rétablissement
de la paix dans le pays. Si cette décision fut assez bien acceptée
par les officiers, la nouvelle fut diversement appréciée par la
troupe. La plupart des volontaires avaient gardé un mauvais souvenir
de la marche qu’ils avaient dû accomplir de Vera-Cruz à Mexico
ville. Mis à part une dizaine d’entre eux, aucun n’avait
l’expérience d’une campagne militaire. Au mois de mars 1865, le
régiment belge quittait Mexico pour aller renforcer les troupes
françaises du 81 ème de la ligne à Morelia. Par l’arrivée des
belges, le colonel français Charles de Potier entrevoit
l’opportunité d’éliminer la présence républicaine dans l’état
du Michoacan. Cette tentative aboutit à un échec. Le 11 avril 1865,
quatre compagnies de voltigeurs belges se faisaient surprendre
Tacambaro. Après une résistance acharnée de huit heures, les
Belges furent contraints à la reddition.
Au
Mexique la façon de mener la guerre avait ses traditions. En règle
générale l’armée vaincue voit ses officiers emprisonnés soit,
plus rarement, fusillés, du moins avant l’empire de Maximilien. La
troupe est tout simplement incorporée dans l’armée des
vainqueurs. Au soir du 11 avril 1865, le général républicain José
Maria Arteaga, commandant en chef de l’armée du Centre fit son
entrée à Tacambaro. Arteaga avait aussitôt décidé que les
officiers prisonniers seraient fusillés dès le lendemain. Une
attitude compréhensible dans la mesure où le gouvernent impérial
avait constitué des cours martiales afin de juger les républicains
pris les armes à la main et qui, on s’en doute, appliquaient une
justice très expéditive.
A
ce moment, le général Nicolas Régulès, l’incontestable grand
vainqueur de cette journée allait s’opposer avec indignation au
dessein d’ Arteaga. Régulès lui fit remarquer que sa parole était
engagée lors de la capitulation et qu’il faudrait d’abord le
fusiller lui avant de réserver le même sort aux officiers
prisonniers. Il était également impossible d’intégrer ces
soldats de nationalité étrangère parmi les forces républicaines,
ceci selon la tradition évoquée précédemment.Aussi, dans la nuit
du 11 au 12 avril 1865, Régulès confia les 203 prisonniers au
colonel Trinidad Villagomez, avec mission de les conduire vers la
petite ville de Huetamo, sur le rio de Las Balzas, à quelques lieues
du Pacifique.
Les
prisonniers de Tacambaro à Cirandaro
Le
16 avril 1865, après une marche très éprouvante, les prisonniers
belges parvenaient à Huetamo. Ils ne restèrent cependant que
quelques jours dans ce village. Pour éviter toute velléité
d’évasion, les républicains jugèrent prudent de les envoyer à
Cirandaro, de l’autre côté du rio de Las Balzas.
Les
mémoires publiées en 1873 par Charles Coomans dans son ouvrage “
Après Tacambaro, huit mois de captivité ces les Indiens du Mexique”
relatent de façon très explicite ce transfert vers Cirandaro:
“ A
notre arrivée au bord du fleuve, la population de Cirandaro accourut
en masse sur la rive opposée pour assister à notre traversée qui
devait s’effectuer au moyen de canots grossiers et de pirogues
d’une architecture navale déplorablement primitive.
Vue
de loin, cette population nous parut de plus en plus se rapprocher de
l’état où vivaient nos premiers parents avant l’époque où
ceux-ci devinrent les tristes héros de cette pénible légende de la
Pomme. Les citoyens de Huetamo poussaient la civilisation jusqu’à
cultiver l’usage des pantalons, mais leurs estimables collègues de
Cirandaro nous semblaient professer le plus profond mépris à
l’endroit de ce vêtement spécialement créé pour dissimuler ce
que la créature humaine n’a pas de trop réussi dans l’aspect
plastique de son individu… Pour tout dire enfin et sans plus de
périphrases, les habitants de Cirandaro se montraient à nous de
loin, à moitié nus et parfaitement indifférents au qu’en-dira-t’on
que leur sans-gêne pouvait provoquer.
Il
y avait même plus. Il y avait un de mes camarades qui me poussa
discrètement du coude et me signala au loin ( et sans rougir, le
misérable) une jeune et robuste indienne entrain de laver du linge
dans la rivière et habillée de sa seule chevelure…”
Cet
extrait reflète parfaitement la société avec laquelle nos
volontaires, la plupart célibataires, allaient être confrontés
durant plus de huit mois. La région en outre était magnifique. Dans
son ouvrage, Loomans témoigne du bon accueil réservé par la
population locale à l’égard des Belges. Très vite des liens
amicaux s’étaient établis. Les prisonniers jouissaient de la
libre circulation dans le village, favorisant des relations auprès
des habitants qui, plus d’une fois, vinrent en aide à leurs
infortunés résidents. Ceux-ci connurent, certes, des moments
d’angoisse mais certains allaient surtout découvrir une existence
sereine qu’ils n’avaient jamais connue auparavant.
Les
prisonniers de Morélia à Cirandaro
Le
12 octobre 1865, le général républicain Vicente Riva Palacio,
après une habile manoeuvre autour du lac de Patzcuaro, vit
l’opportunité de prendre la ville de Morelia. A cette époque, la
capitale de l’état du Michoacan était placée sous la protection
du corps belge. L’attaque fut repoussée. Parmi les volontaires,
trois morts furent relevés, trois autres avaient été grièvement
blessés et cinq avaient disparu. Ces derniers qui se trouvaient tous
au même poste de garde à la garitta de Chicacuaro avaient été
faits prisonniers, mais probablement sans opposer de résistance aux
républicains. Ils s’agissait de:
FLACHAT
Dominique, né à Lyon en 1839.
GUYOT
Jean-Marie, né à Nort ( Loire inférieure) en 1838.
BREUER
Léopold, né à Liège en 1845.
VAN
HOLLEBEKE Emile, né à Bruges en 1844.
DREUMONT
Alcide, né à Hecq (Nord) en 1840.
Ce
dernier qui avait été engagé comme sergent à Oudenaarde est sans
doute à la base de cette reddition assez conciliante. Gagné aux
idées de la république mexicaine, il ne tardera pas à rejoindre
l’armée du Centre en tant qu’officier. Selon certains, il serait
devenu officier d’ordonnance du général Riva Palacio.
Inévitablement, Dreumont aura côtoyé Edouard Devaux, cet officier
belge passé dans les rangs républicains dont le parcours sera
relaté en fin de cette étude.
Contrairement
à ses quatre compagnons Dreumont ne semble pas avoir été envoyé à
Cirandaro.
Le
même jour de l’attaque sur Morelia, donc le 12 octobre 1865, le
général impérialiste Ramon Mendez parvenait à s’emparer des
généraux républicains Artéaga et Salazar, de 40 officiers et de
400 de leurs hommes, sur les hauteurs de Santa-Anna Amatlàn.
Conduits à Uruapan les deux généraux et trois autres républicains
furent exécutés après un jugement sommaire. La nouvelle de ces
assassinats parvint très vite à Cirandaro. On comprend l’angoisse
qu’allait susciter cette information auprès des prisonniers belges
et plus particulièrement les officiers. Les autorités mexicaines ne
manquèrent d’ailleurs pas d’évoquer des représailles à leur
égard. Le sous-lieutenant Emile Walton rapporte qu’un cavalier
républicain lui a proposé de signer une protestation afin d’avoir
la vie sauve. Il s’agissait d’un factum adressé à l’empereur
Maximilien. Cette protestation avait en fait été rédigée par
Léopold Breuer. Datée du 23 octobre 1865, elle vilipendait d’une
façon très virulente l’attitude du général Ramon Mendez dans
les exécutions perpétuées à Uruapan. Ceci est étonnant de la
part de Breuer qui, en fait, devait la vie à Mendez. Ce dernier
l’avait sauvé personnellement le 28 juin 1865 au passage d’un
rio alors qu’il allait se noyer! Le document était également
signé par Guyot, Flachat, Van Hollebeke et la plupart des soldats
prisonniers à Cirandaro. Deux autres lettres furent encore rédigées,
toujours par le même Breuer, réclamant le rapatriement pur et
simple du corps. Là encore les quatre signataires tentèrent
d’extorquer l’approbation de leurs compagnons de fortune. Cette
fois tous refusèrent et passèrent à la rédaction de deux
contre-protestations. Plus tard, après leur libération, les
volontaires rédigèrent une justification supplémentaire. Ecrite à
Toluca le 21 janvier 1866, elle fut publiée dans le Moniteur belge
du 28 mars 1866.
La
libération des prisonniers
Suite
aux négociations rendues possibles, grâce à la bienveillance du
général républicain Vicente Riva Palcio, l’échange des
prisonniers fut prévu le 5 décembre 1865 à Acuitzeo, village situé
à 31 km au sud de Morelia. Les autorités de Cirandaro avaient
conseillé à Breuer, Guyot et Flanchat de déguerpir, car leurs
camarades s’étaient promis de les pendre. On peut supposer que les
trois hommes prirent du service dans l’armée républicaine car une
source nous indique qu’ils furent rapatriés vers l’Europe aux
frais des autorités mexicaines. Quant à Emile Van Hollebeke il ne
fut nullement inquiété. Ce flamand ignorait le français et il put
facilement admettre qu’il avait signé la protestation de Breuer
sans comprendre son contenu. Cette excuse fut admise et il put se
joindre aux autres prisonniers libérables sans être inquiété.
Sept
officiers, dix-huit sous-officiers et 167 caporaux et soldats furent
remis aux mains du capitaine Léon Visart de Bocarmé, délégué par
les autorités impériales. Douze volontaires manquaient à l’appel.
ALBERMITO
Louis né à Asti (Italie) en 1829
BECKER
Frederic né au Grand Duché du Luxembourg en 1840
BUTTNER
Jean Louis né à Bruxelles en 1836
DOURET
Jean né à Lanaye (Liège) en 1835
EINBERGER
(? )
GEVAERT
Jean-Baptiste né à Chièvres En 1839
GIRARDIN
Emile né à Kerkhove en 1833
LENZ
Théodore ( ? )
SCHEIFER
Wilhelm ( ? )
SCHOONBACH
Joseph ( ? )
VERBOONEN
Pierre Léopold né à Uccle (Bruxelles) en 1843
VERVLOET
Jean-Baptiste né à Linkebeek en 1836
Informé
des protestations rédigées par Breuer, la colère de Van der
Smissen avait été terrible. Cet emportement allait se manifester à
l’égard des volontaires qui n’avaient pas réintégré le corps.
Ainsi l’inscription au matricule des volontaires concernés
mentionne: “ déserteur, passé à l’ennemi” et précise la
date “avril 1865”. Si le terme “déserteur” est une évidence
les autres mentions semblent très discutables et reflètent de toute
évidence le tempérament impétueux du commandant du corps belge.
Van der Smissen était certes doté des plus belles qualité
militaires, mais était par contre affligé d’un caractère d’une
susceptibilité poussée jusqu’à l’agressivité. Aucun doute
qu’il soit responsable du libellé inscrit au livre d’ordres
concernant les libérés absents à Acuitzeo. En ce qui concerne la
date indiquée, le témoignage de Charles Loomans dans l’ouvrage
déjà cité est très explicite à ce sujet et n’évoque aucune
défection au lendemain du combat de Tacambaro. Le problème
essentiel avec lequel étaient confrontés les prisonniers à
Cirandaro était l’oisiveté, mais que très vite la plupart
d’entre eux trouvèrent de l’occupation auprès des habitants.
Loomans:
“ Bon nombre de prisonniers avaient été adoptés par des familles
où ils rendaient différents services. Les uns enseignaient le
français, d’autres le dessin, certains s’improvisèrent
forgerons, tailleurs et cordonniers. Quelques-un s’en furent
travailler dans les haciendas des environs. Leur occupation allait de
l’arrièro (conducteur de mules) … à la bonne d’enfants. Les
soldats Marcelin De Rive et Florent Delage travaillaient à
l’imprimerie du journal juariste La Republica, tandis que les
volontaires Edouard Otte et Louis Albermito, un des “déserteurs”
confectionnaient des cartouches pour leurs ennemis! C’était de
bonne guerre. A cette époque, on était loin en effet de la
“convention de Genève” et puis “ventre affamé” n’a pas
d’opinion.”
Il
parait évident que les désertions étaient ici surtout motivés par
la découverte d’un monde meilleur. Ce fut le cas de Pierre Léopold
Verboonen, un des prisonniers qui ne s’était pas présenté lors
de l’échange à Acuitzeo. Son descendant monsieur Stephane
Verboonen, suite à un voyage au Mexique sur les traces de son
ancêtre, révèle dans une étude que son parent s’est enfui,
probablement lors du transfert de Cirandaro vers le lieu où devait
se dérouler l’échange. Pierre Léopold Verboonen descend vers le
sud, traverse la Sierra Madre del Sur et arrive à Petatlan, un petit
village situé à une centaine de kilomètres de Cirandaro et une
dizaine de kilomètres de l’Océan Pacifique. Il s’y installe, se
marie et fonde une famille. Ses descendants directs comptent à la
fin du 20ème siècle plus de 330 membres répartis au Mexique et
dans d’autres pays. Pierre Léopold Verboonen décède à San
Francisco ‘USA) en 1899 suite à une mauvaise chute de cheval.
Les
“déserteurs” belges et la contre-guérilla française
De
tous temps, la Belgique fut un vivier de recrutement pour la légion
étrangère. Il n’est pas étonnant que plusieurs bureaux
d’engagement avaient été établis à proximité de la frontière
du royaume. En 1863, lors du si§ge de Puebla au cours de la campagne
du Mexique, la protection des convois depuis Vera-Cruz avait été
confiée principalement au Régiment Etranger, commandé par le
colonel Pierre Jeanningros et la contre-guérilla du colonel Charles
Louis Dupin. C’est au cours des opérations dans les “terres
chaudes” qu’eut lieu, le 30 avril 1863, le combat de Camerone.
Sur les 63 défenseurs de l’hacienda de la Trinité, figuraient
déjà 15 légionnaires d’origine belge, soit près d’un quart.
Les deux unités opérant de concert, il est évident que plusieurs
légionnaires, dont certains d’origine belge passèrent à la
contre-guérilla, du simple fait que la solde y était fort élevée,
donc attractive. Il semble que les autorités militaires françaises
n’émirent pas trop de réticences à ces mutations étant donné
le but commun des deux unités de lutter contre les partisans
républicains de Juarez. Nous verrons plus loin que cette perception
ne fut pas la même au sein du corps des volontaires belges en 1866.
Un relevé des effectifs de la contre-guérilla de 1865 indique la
présence de 22 Belges parmi lesquels Vandebroeck, Van Egroo, William
Kreuzen, Haag et Otto Heilander (1). Ces noms s’ajoutent à ceux de
consonance belge mentionnés par Charles Daubige: Van Bredael,
Collin, Moll, Standaart (2). Ces hommes proviennent probablement,
pour la plupart du régiment étranger. Ce n’est en effet qu’en
1866, au cours des opérations entamées par les troupes impériales
dans le nord du Mexique, que le corps des volontaires belges
rencontre à deux reprises la contre-guérilla du colonel Dupin. A
cette époque, les Belges avaient acquis une réputation de bravoure
auprès de leurs alliés, ceci suite à la dure campagne qu’ils
avaient menée dans le Michoacan, la résistance acharnée à
Tacambaro, la retentissante victoire de la Loma. La première
rencontre eut lieu à San Luis Potosi, entre le 5 et le 16 février
1866. Dupin et sa troupe, de passage dans cette localité, y
rencontrèrent le capitaine Modeste Loiseau qui commandait les
grenadiers. Loiseau attendait l’arrivée du bataillon des
voltigeurs et surtout le commandant du corps, le colonel Alfred Van
der Smissen (3). Dupin n’allait pas manquer de demander à Loiseau
la permission de recruter des hommes dans le bataillon belge. Le
capitaine répondit qu’il ne pouvait déférer à son désir en
l’absence du colonel Van der Smissen qui devait arriver
incessamment à San Luis avec les voltigeurs. Le colonel Dupin partit
le lendemain avec une centaine d’hommes destinés à alimenter sa
troupe (4). Le 17, le colonel Van der Smissen parvenait à San Luis.
La contre-guérilla était considérée comme une unité non
conventionnelle, le livre d’ordre du corps belge allait gratifier
les volontaires passés à la contre-guérilla de “déserteurs”.
Furent ainsi notés à cette date:
APPELS
François né à Anvers en 1840 ancien militaire au 7ème de ligne
COSTERMANS
Jean né à Bruxelles en 1839 ancien militaire au 3ème ligne
DEKKERS
Jacques né à Anvers en 1826
DUFIEF
Auguste né à Mons en 1839 ancien sergent au régiment des
carabiniers
EAX
Constantin né à Merzlich (Allemagne) en 1847
FUNTES
Jean (?) engagé au Mexique en décembre 1865
HUBER
Jean-André (?)
KERCKHOFFS
Léopold né à Reet (Anvers)?
KERCKHOFFS
Philippe né à Reet (Anvers) ?
KUPPER
Joseph né à Cologne (Allemagne) en 1833
MARECHAL
Léon né à Luxembourg ancien militaire au 3ème régiment à pied
SCHEUER
Melchior né à Virton en 1844
SCHMIDT
Joseph (?)
SCHOTT
Jules né à Dusseldorf (Allemagne) en 1836
SCHUTSCH
Guillaume (?)
Les
volontaires repris ci-dessus appartenaient tous au bataillon des
grenadiers, seuls présents à cette date à San Luis. Cette liste
n’est certes pas exhaustive. Cependant les volontaires Schmidt et
Schott apparaissent dans d’autres sources liées à la
contre-guérilla. La seconde rencontre eut lieu à San Juan de
Vanejas le 8 août 1866, alors que toutes les forces impériales et
l’armée française évacuaient les provinces du nord. Van der
Smissen et plusieurs des ses officiers furent invités par le colonel
Dupin. L’accueil fut des plus
empressés et des plus
chaleureux. Après le diner, Dupin invita les belges à visiter sa
troupe qui présentait plus de vingt nationalités différentes. Le
lieutenant Emile Walton présent à cette viste témoignera que cinq
volontaires déserteurs faisaient partie de la troupe des
“colorados”. Van der Smissen, indéniablement de la mêmetrempe
que Dupin, se montra peu pointilleux à ce sujet. Il n’empêche
qu’il appliquera la même rigueur dans le livre de marche du corps,
gratifiant de “déserteurs” les volontaires passés à la même
date à la contre-guérilla.
Voici
les noms qui peuvent être relevés:
BISSCHOP
Auguste né à Lille (date inconnue)
COUTURIER
Joseph né à Tirlemont en 1844
DAMPFMANN
Jacques né à Königsberg (Prusse) en 1838. En septembre 1865, il
avait été condamné à six mois d’emprisonnement pour désertion.
LYBAERT
Hippolyte né à Gand en 1840 militaire au 4ème de ligne
MUNSTER
Adolphe né à Oresloo (Allemagne) date inconnue
PARENT
Gustave né à Ligny (Hainaut) en 1840
RAMONT
César né à Gand en 1845
VANPEE
Emile né à Nivelles en 1838
WAETERLINCKS
Emmanuel né à Ixelles (Bruxelles) en 1841 militaire depuis 1861 au
1er régiment de ligne
Il
convient cependant de noter que plus de 200 volontaires du corps
belge passeront dans diverses unités impériales au cours de la
campagne. Ces mutations étant considérées comme légales par
l’autorité, on eut soin de ne pas gratifier ces volontaires de
“déserteurs” comme ce fut le cas de ceux passés à la
contre-guérilla.
Le
capitaine Edouard Devaux
Le
relevé des effectifs du corps des volontaires belges pour le Mexique
renseigne un officier déserteur. Il s’agit du capitaine Edouard
Devaux. Né à Arlon le 16 mars 1835, il s’engage à l’âge de
quinze ans au 10ème régiment de ligne. Sous-officier, il passe
lieutenant au même régiment en 1863. Il est un des premiers
officiers à s’engager à Oudenaarde pour partir au Mexique. Il
obtient le grade de capitaine et le commandement de la 2ème
compagnie des grenadiers. Il fait partie du 1er détachement qui
quitte Oudenaarde à destination du Mexique. Le lieutenant-colonel
Alfred Van der Smissen, commandant du corps, fait partie du voyage.
Très vite des dissensions profondes opposent les deux officiers.
Devaux présente deux grands défaits: le jeu et la boisson. Ceux-ci
serviront de prétexte à Van der Smissen pour obtenir son renvoi.
Une manière assez insolite qui correspondait avec la manière
autoritaire et volontiers brutale dont le commandant du corps
concevait son rôle: “ démissionné le 22 septembre 1865”, telle
est l’ultime annotation qu’on trouve
pour
Devaux dans la matricule des officiers. Exaspéré, il passera dans
le camp républicain. Il appert que Devaux épousera à cette époque,
à Morelia, une riche veuve dont il dépensa l’avoir au jeu. Le 10
janvier 1866, il rencontre le général Vicente Riva Palacio à
Turicato, où ce dernier a établi son quartier général. Riva
Palacio confie à Devaux la formation d’une “légion étrangère
de la liberté” avec le grade de lieutenant-colonel. Selon des
sources mexicaines, Devaux parvient en moins de deux mois à réunir
une troupe de deux cents hommes composée de déserteurs belges et
français, dont plusieurs algériens. Les Belges issus du corps des
volontaires ne devaient cependant pas être plus d’une dizaine,
dont Breuer et les signataires du fameux factum déjà évoqué. Le
camp de base de cette unité s’établit à l’hacienda de San
Antonio de las Huertas, près de Huetamo. Nous n’avons aucune
information concernant les actions auxquelles cette “légion
étrangère de la liberté” a participé. Le 13 février 1867,
après le rapatriement des troupes européennes, l’empereur
Maximilien entrait en campagne à la tête de son armée. Quittant
Mexico, le souverain allait rejoindre le général Miguel Miramon qui
s’était retranché à Queretaro, devant la menace des forces
républicaines du général Mariano Escobedo. Durant deux mois,
l’Empereur et ses fidèles opposeront à leurs ennemis une
résistance aussi acharnée qu’opiniâtre. Alors qu’on atteignait
le soixante-dixième jour de siège, le découragement avait atteint
son paroxysme chez les défenseurs. Le 14 mai, Maximilien allait
charger le colonel Lopez d’opérer des tractations avec les
républicains. Le 15, à 3 heures du matin , les juaristes
pénétraient dans la ville. Levé à l’aube pour faire le tour des
postes, le général Miramon entendit sonner les cloches de l’église
de la Cruz. Accompagné de son aide de camp, le lieutenant-colonel
Ordonez, Miramon prit aussitôt cette direction. A la place de San
Francisco, il aperçut deux officiers à cheval. Ordonnez s’avança
seul pour les reconnaître. L’un des cavaliers pointa son revolver
en criant: ”Qui vive?”. Le lieutenant-colonel répondit:
“Empire!”. Il fut aussitôt frappé d’une balle. Comme
l’officier s’effondrait, Miramon dégaina et ajusta l’officier
qui avait tiré. Ce dernier fit à nouveau feu de son arme. Le
général reçut le projectile dans la joue droite. Aveuglé par la
douleur il riposta. N’ayant pas atteint son agresseur il parvint à
battre en retraite et à se diriger vers la demeure de son médecin,
le docteur Vicente Licca. Celui-ci allait extraite la balle. Le
médecin allait ensuite prévenir les républicains de la présence
du général à son domicile. Cette escarmouche résume les actions
isolées qui se dérouleront lors de la prise de Querétaro. Celle-ci
cependant est particulière: l’agresseur du général Miramon et
son aide de camp n’était autre que…. le colonel Edouard Devaux.
Moins
d’un mois plus tard, le 19 juin 1867, l’empereur Maximilien fut
fusillé avec ses généraux Miramon et Mejia au Cerro de las
Campanas. Le 31 décembre 1867, Devaux fut confirmé dans son grade
pour services rendus à la cause juariste. Fidèle au Président, il
participe en date du 2 octobre 1871, aux côtés des généraux
Sostenes Rocha et Ignacio Alatorre à la prise de la Ciudadela
défendue par des opposants. Juarez décède le 18 juillet 1872. Son
successeur Sebastian Lerdo auquel Devaux apportait son appui, est
renversé par Porfirio Diaz. De ce fait, l’ancien capitaine du
corps belge est rayé des cadres le 14 décembre 1876. Il obtint
cependant le droit de reprendre du service dans l’armée mexicaine
le 23 décembre 1880 lorsque la conjoncture politique fut redevenue
plus stable. Le 5 septembre 1901, Devaux âgé de 66 ans, obtint sa
pension. Perpétuellement confronté aux embarras pécuniaires, le
démon du jeu ne l’ayant jamais quitté, il décède à Mexico le
25 mai 1907.
Conclusion
Après
cette analyse plus conforme à la réalité, nous pouvons établir ce
relevé plus précis des désertions dans le corps des volontaires
belges au Mexique:
Fusillés
pour désertion 2
Condamnés
pour tentative de désertion 12
Désertés
dans les premiers mois de leur arrivée 10 ( la plupart allemands )
Non
présents lors de l’échange de prisonniers
à
Acuitzeo le 5 décembre 1865 12
Non
présents à la même date pour
cause
de signature de manifeste contre l’Empire 3
Passés
à la contre-guérilla février 1866 15
Passés
à la contre-guérilla août 1866 9
Passés
à la “légion étrangère de la liberté”
républicaine 7
Passés
à l’ennemi en tant qu’officiers
(Devaux-Dreumont) 2
Désertions
non spécifiées 25
Notes
bibliographiques
1.HT:
Eric Taladoire. Les contre-guérillas françaises dans les terres
chaudes du Mexique (1862-1867) l’Harmattan 2016
2.
Charles Daubige: Les vestes rouges au Tamaulipas 1876
3.
Modeste Loiseau Le Mexique et la légion belge (1864-1867) Bruxelles
1870
4.
Emile Walton: Souvenirs d’un
officier belge au Mexique (1864-1866) Ch. Tanera Editeur Paris 1868 p
172