L’ECHANGE
DES PRISONNIERS A ACUITZEO
LE
5 DECEMBRE 1865
PAR
MICHEL PROVOST
Combat
de Tacambaro. Michel Provost
Préambule
Le 11
avril 1865, au cours de la Campagne du Michoacan, quatre compagnies
de voltigeurs du régiment belge s’étaient fait surpendre à
Tacambaro par les forces juaristes du général Nicolas Régulès.
Après une lutte acharnée de six heures, les volontaires belges sont
contraints à la reddition, déplorant la perte de six officiers
ainsi qu’une vingtaine de sous-officiers et soldats. Les 203
prisonniers capturés furent envoyés en captivité vers la petite
ville de Huetamo, à quelques lieues du Pacifique. Le
lieutenant-colonel Alfred Van der Smissen, qui commande le corps des
volontaires belges, accepte difficilement cette défaite et n’a dès
lors qu’une seule intention : prendre une revanche sur ses
adversaires républicains. Il obtiendra cette victoire le 15 juillet
1865 sur les hauteurs de Tacambaro, lors du combat dit de la Loma
(1). Les prisonniers républicains, parmi lesquels plusieurs
officiers, permettront d’ouvrir des négociations en vue d’un
échange de prisonniers permettant de libérer les détenus belges
suite à l’affaire du 11 avril. Ces pourparlers seront entrepris du
côté belge par le capitaine Léon Visart de Bocarmé. L’affaire
semblait en bonne voie lorsque des événements impromptus vinrent
contrecarrer les accords obtenus.
Capitaine
Léon Visart de Bocarmé. Coll. Priv.
Les
négociations
Le 2
octobre 1865, à Mexico, l’empereur Maximilien promulguait un
malheureux décret condamnant à la peine de mort tout individu prit
les armes à la main. Or, dix jours plus tard, à Santa Anna Amatlan,
le général impérialiste Ramon Mendez, qui avait collaboré aux
côtés des Belges à la victoire de la Loma, parvenait à surprendre
le général José Maria Artéaga, commandant en chef de l’armée
du Centre républicain. Le 21 octobre, en vertu du décret impérial
du 2 octobre, Artéaga et plusieurs officiers étaient exécutés à
Uruapan. Cette nouvelle fut très vite connue par les prisonniers
belges qui, à cette époque, avaient été transférés de Huetamo à
Cirandaro (2) pour la troupe et à Santiago pour les officiers. Ces
derniers furent bientôt persuadés qu’ils seraient passés par les
armes sans autre forme de procès.
Le 8
novembre, 9 officiers et 3 ordonnances tentèrent une évasion en
pirogue sur le rio de las Balzas. Leur tentative échut. Repris, ils
furent reconduits à Huetamo deux jours plus tard. A leur retour, ils
furent étonnés d’apprendre que la délivrance était beaucoup
plus proche que la
Général
Vicente Riva Palacio. Michel Provost.
mort.
L’aboutissement des accords en vue de l’échange des prisonniers
fut l’œuvre du général républicain Vicente Riva Palacio, qui
avait succédé à Artéaga dans le commandement de l’armée du
Centre. Il rendra d’ailleurs une visite fort courtoise aux
officiers belges dans les jours qui suivront leur tentative manquée
d’évasion. Le lendemain de cette rencontre, le capitaine Minôn de
la cavalerie impériale, qui était détenu avec les Belges à
Huetamo, et le colonel Linarte, chef d’état-major de Riva Palacio,
partirent pour Mexico afin de régler les derniers détails relatifs
à l’échange de prisonniers. Celui-ci aurait lieu à Acuitzéo (3)
le 5 décembre 1865. Les prisonniers belges quittèrent Huetamo le 28
novembre 1865, escortés par le colonel Alzate afin de parcourir les
45 lieues qui les séparaient du lieu de leur remise en liberté. Le
3 décembre dans l’après-midi, ils arrivèrent à Tacambaro où
ils furent accueillis par Riva Palacio. Le général invita les
officiers belges à lui transmettre leur photographie dès leur
retour à Morélia. Ce désir sera réalisé.
Photographie
des officiers belges libérés.
Lieutenant
Walton ; sous-lieutenant Adam ; sous-lieutenant Fourdin ;
sous-lieutenant de Biba ; sous-lieutenant Jacobs ;
capitaine Gauchin ; le capitaine Visart de Bocarmé en
couvre-nuque et qui mena les négociations ; lieutenant Deheck ;
sous-lieutenant Geoffroy de la cavalerie impériale mexicaine. (coll.
MRA Bruxelles)
L’échange
des prisonniers
Le 4
décembre 1865, les prisonniers républicains (4) quittèrent Morélia
escortés par une cinquantaine de volontaires belges. Cette colonne
était commandée par le capitaine Léon Visart de Bocarmé
accompagné du lieutenant Jean Jaminé et des sous-lieutenants Nestor
Stassin et Alfred Stoops. Au soir, le campement fut dressé à
Santiago d’Undaméo. Le 5 décembre, à 2 heures du matin, la
troupe se remit en marche afin de rejoindre Acuitzéo à 6 heures,
heure désignée pour l’échange. Conformément aux accords
conclus, les Belges et leurs prisonniers devaient s’arrêter à 2
kms de l’entrée du village. Il était convenu qu’aucun membre
des escortes respectives ne pouvait entrer dans le centre d’Acuitzéo,
mis à part les officiers désignés de chaque parti.
Le
lieutenant Jean Jaminé. Coll. priv.
La
colonne venant de Tacambaro s’était également mise en route ce
même jour bien avant le lever du jour. Elle avait cependant gagné
du retard. C’est la raison pour laquelle, à 3 heures du matin, le
colonel Linarte, qui commandait le détachement, permit au lieutenant
Emile Walton, qui faisait partie des prisonniers, de quitter la
troupe pour avertir Visart de Bocarmé que l’échange aurait bien
lieu. Walton, accompagné d’un commandant de guerilla républicaine
parvint à Acuitzéo, alors que le jour n’était toujours pas levé.
Les deux hommes traversèrent la localité. Apercevant les coiffes
recouvrant les képis de l’escorte belge venant de Morélia, le
commandant de guérilla républicain prit congé de Walton. Celui-ci
rejoignit le capitaine Visart pour lui exposer les motifs de sa
présence. Walton fut présenté aux principaux officiers
républicains prisonniers. Des ordres furent donnés par le capitaine
aux officiers belges qui l’accompagnaient. A la levée du jour, le
lieutenant Walton, le capitaine Léon Visart de Bocarmé et le
capitaine Salgado de l’artillerie impériale se mirent en selle
pour rejoindre le centre d’Acuitzéo. Ils étaient attendus par un
piquet de cavalerie républicaine. Deux sonneries de clairon
annoncèrent le début de l’échange des prisonniers. Les
républicains étaient représentés par le colonel Linarte et le
commandant Marmolejo. La rédaction et la signature des
procès-verbaux d’échange durèrent environ ¾ d’heure. Les
relations entre les officiers des deux partis furent des plus
cordiaux, voire très amicaux. Enfin les prisonniers belges
rejoignirent le centre de la localité,se formèrent en bataille sur
la Grand-place d’Acuitzéo, et attendirent le passage des
prisonniers républicains. On devine quel fut l’accueil réservé
aux prisonniers libérés dans chaque camp. Les Belges libérés
furent conduits à Tiripitio où les attendaient huit voitures
chargées d’armes, de munitions, d’uniformes, de victuailles et
de tonneaux de bière. Après un repos de trois heures, la colonne
allait rejoindre Santiago d’Undaméo vers 23 heures où elle
établit son campement. Le lendemain, 6 décembre 1865 à 9 heures,
la troupe fit son entrée à Morélia, musique en tête, sous les
acclamations de la population.
El
perdon de Los Belgas
El
pardon de los Belgas
Peinture
de Franciseo de Paula de Mendoza (palais du gouvernement de
Morélia)
Le Palais du Gouvernement à Morélia conserve une peinture intitulée « El Perdon de los Belgas», œuvre de Francisco de Paula de Mendoza, et qui représente l’échange des prisonniers le 5 décembre 1865. Ce qui m’avait interpellé avant tout dans cette création était le groupe des officiers belges. La représentation des uniformes semblait plus que fantaisiste tandis que la physionomie des intéressés paraissait sortir uniquement de l’imagination de l’artiste. Ce dernier n’en était nullement responsable. «El Perdon de los Belgas» a été réalisé en 1881. Franscico de Paula de Mendoza ne disposait d’aucune indication concernant les uniformes portés par les officiers belges, ni de leur aspect physique. Disposant des éléments qui manquaient à mon talentueux prédécesseur, j’ai été tenté de réaliser un dessin tout en
El
pardon de los Belgas : dessin de Michel Provost
respectant
le concept même de sa réalisation. Il appert cependant que tant
l’œuvre de Franscico de Paula de Mendoza que mon dessin ne
représentent qu’une allégorie peu soucieuse de la vérité
historique. En cause : l’absence le 5 décembre 1865 à
Acuitzeo du personnage principal de cette composition : Vicente
Riva Palacio. Le général républicain était resté ce jour-là à
Tacambaro alors que se déroulait l’échange. L’ouvrage
«Souvenirs d’un Officier Belge au Mexique» du lieutenant Emile
Walton, un des officiers prisonniers publié en 1868 fait ici
référence en la matière. Walton consigne que si le général Riva
Palacio a rencontré à plusieurs reprises les officiers belges
prisonniers à Tacambaro, il ne s’est pas rendu personnellement à
Acuitzeo, laissant cette tâche à ses subordonnés. Cette absence se
confirme par un autre témoignage, celui d’Emile Noirsain (5).
Celui-ci faisait partie du détachement des 50 volontaires belges
choisis pour escorter les prisonniers républicains. Dans son
manuscrit il ne fait aucune allusion à la présence du général
lors de l’échange. Enfin l’absence de Riva Palacio se justifie
pour une raison toute simple. Il était notoire que les troupes
européennes engagées considéraient les troupes impériales
mexicaines, leurs alliés, avec beaucoup défiance, voire du dédain.
Pour les forces républicaines ces considérations étaient pire
encore : il s’agissait tout simplement d’un ramassis de
brigands et de bandits. Pour les Diaz, Escobedo, Riva Palacio et tant
d’autres généraux de la faction libérale, cette dévalorisation
devait être insupportable. Le fait de la présence belge d’un
subalterne en grade (le capitaine Visart de Bocarmé) à Acuitzéo ne
pouvait qu’accroître cette dépréciation de la valeur des
officiers républicains liés à la cause de Benito Juarez. Ce qui ne
voulait certainement pas le général Vicente Riva Palacio. Un buste
à son effigie prône aujourd’hui sur la place d’Acuitzio del
Canje. A juste titre car il fut le maître d’œuvre de cette
journée mémorable du 5 décembre 1865.
Buste
du général Vicente Riva Palacio.
NOTES
- Batalla de Cerro Hucco pour les Mexicains.
- Aujourd’hui Zirandaro.
- Aujourd’hui Acuitzio del Canje, situé à 32 kms au sud de Morélia.
- Les sources dont nous disposons concernant les prisonniers républicains indiquent 42 officiers parmi lesquels 3 généraux : Canto, Tapia et Ramirez, 3 colonels, 2 lieutenants-colonels, 2 majors et 104 soldats. Ces nombres diffèrent cependant dans l’ouvrage «Historia de la Guerra de Intervention en Michoacan» d’Eduardo Ruiz, édité en 1896 et qui constitue l’ouvrage de référence au Mexique. Ruiz indique 45 officiers dont un seul général (Benigno Canto), 4 colonels, 9 lieutenants-colonels et 111 soldats. Pour les prisonniers de l’armée impériale Ruiz mentionne 10 officiers mexicains, 8 officiers belges, 15 sous-officiers belges,1 cantinière et 265 caporaux et soldats belges. Ce dernier chiffre semble assez étonnant dans la mesure ou le nombre de prisonniers belges à Tacambaro le 11 avril 1865 et envoyés à Huetamo, s’élevait à 203, dont 7 officiers, 18 sous-officiers, 177 caporaux et soldats et 1 cantinière.
- Noirsain Emile, né à Tournai en 1845. Manuscrit «Souvenirs du Mexique», non publié, conservé au Musée Royal de l’Armée à Bruxelles.
Acuitzio del Canje.